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Aérer nos hivers

Updated: Feb 19, 2024


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Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas

À travers la fenêtre

Je regarde passer les saisons

En poème technicolor

La lumière perce la vitre

Mais c’est moi que je vois

Courir nu sur la neige

Un fou dans la tempête

Galoper à dos d’original

La crinière branche d’épinettes

Je suis mon propre spectateur

J’apprends à applaudir aux bons endroits


À travers la fenêtre

En bruit de fond

Une vieille grange oubliée

Pendant trop de soleils

Elle habite le décor

S’habille de ses pastels

Émaciés par les années

Et le poids des poussières


On la devine en robe de paillettes

Quand le vent siffle l’espoir des étés

Puis en teinte de duvet fatigué

Les jours où le ciel s’échoue sur l’horizon

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Une grange comme

Le baromètre de nos dérives

On en prend soin du mieux qu’on peut

On la rénove

On se dit que c’est à la mode de réparer

Les vieilles affaires

Donc on sort la petite broche

Du fond de notre poche

Pi on essaie de se tenir

Jusqu’au prochain hiver

Jusqu’aux prochaines échoueries de passage

Dans tes bras ou au creux

De ce qui nous lie


/


À travers la fenêtre

Ça s’embrouille

Parfois faut juste

Agrandir le cadre

Descendre d’un étage

Changer notre perspective

Pour mieux se voir passer

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Mais aujourd’hui le flou demeure

Je crève de ne plus te voir

Ma vue s’efface à chaque tempête

Chaque flocon qui tombe

Est une brûlure sur ma peau à rattraper

Je veux y mettre le feu


Sortir

dehors

Goûter

l’incendie

Sur moi le déluge



Je m’expulse de mon corps

Il n’y a plus de fenêtre

Plus de cadre

Plus de vitre

Je cours après mon ombre

Mais il n’y a que moi

Pour m’écouter pleurer

Et la lune tapageuse qui me fait des clins d’œil

Je ferme les paupières

Au moment où les tisons-flocons

Consument ce qui reste de ma chair


Puis je fais ce qu’il me reste à faire

Et je grimpe

J’obéis à mes membres défendants

Et je grimpe

Une chorale montagne me poursuit

Un grondement d’une autre vie

Il me suit dans le sentier

Il me suit sur la falaise

Il me suit quand je trébuche sur l’original mort

Les restes de mes débris de visage figés

Sur son panache en sang


Ce grondement me colle à la peau

Il me fait peur

Au-dessus des nuages il demeure

Il me suit au sommet

L’altitude dégage le paysage

nouvelle perspective


Je m’assoie à l’intérieur de moi

Le grondement sourd me suit encore

Je l’écoute

Tend l’oreille

Localise son berceau morcelé


Sa source

c’est mon ventre

Clairon-fontaine percutant mes côtes

C’est en moi qu’il résonne symphonie


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Je lève la tête

Un cadre s’aligne sur ma vie

Mais un cadre sans frontière

Cette fois

Un cadre qui voit loin

Qui ne filtre plus les rayons

Ni les couleurs qui chatouillent

Je le traverse

Désormais à ma guise

À la mesure de mes envies

Et des envols de nos tourterelles tristes


/


À la maison la paix crépite

Au fond du poêle on tisse des nuits serrées

Ma fenêtre m’a attendue

Comme elle l’a fait depuis cent ans

Comme elle le fera encore dans cent ans

Fidèle à mes chaleurs

Malgré les supplices du givre

Et les échos de mes cauchemars


Je reprends ma place

La grange chante encore ses ritournelles de grange

Les sapins n’ont pas bougé de leur poste de sapin

Tout est à sa place

Rien n'a changé

et pourtant tout est différent

Rien n'est pareil

et pourtant tout est comme avant

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Dans ma loupe frimas

La sueur du fleuve fait pâlir la glace

Je crois bien y avoir vu passer

Un bourgeon flottant au vent

Il revient forcément du sud

Pour peupler mon nord de ses semblables

Chargé de la sève de tous les printemps éternels


Je le regarde passer

ce vaillant bourgeon


Passer dans le cadre de ma fenêtre

Le temps d’un sursaut d’hiver

Le temps qu’il faut pour s’effleurer

Le bout des doigts-veilleuses

Le temps qu’il faut pour reconnaître

La nuance diaphane de mes intimes


Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas

Aujourd’hui

J’ai vu un bourgeon avec des ailes

Passer par ma fenêtre



- mars 2023 -






Référence / inspiration : Georges MOUSTAKI, "Rien n'a changé", Danse, Polydor, 1972


Photos : crédit Hubert Trépanier; Kamouraska (Qc)

Nionwentsïo (territoire ancestral de la Première Nation Huron-Wendat)

Wolastokuk (territoire ancestral de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk)

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