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Lettre à Karl



Les racines d’un amour


Je t’ai entendu pour la première fois grâce à mon cousin cool de 16 ans qui m’avait fait écouter Break Syndical, j’en avais 11. À ses yeux tu étais une star, donc aux miens, tu l’étais aussi. Mon admiration pour toi se peaufinera et créera sa propre identité avec les années, mais disons qu’on partait sur un bon pied, toi et moi.


L’année d’après je te voyais en show pour la première fois au Théâtre du Cuivre de Rouyn-Noranda, avec mon père pi mon petit frère. Une chance qu’on était au balcon parce que les deux premières rangées de sièges avaient été arrachées par la foule qui trashait front stage! Les gens étaient déguisés avec du drôle de linge et des chapeaux bizarres. À 12 ans je comprenais pas tout ça, mais ça m'impressionnait beaucoup. Cette soirée là, y’a quelque chose qui s’est allumé en moi, y’a quelque chose qui m’a attiré dans cette valse de bonheur à laquelle j’avais assisté. Je suis sorti du spectacle, j’ai acheté mon t-shirt vert (que je possède encore <3 ), pi c’était le début d’un grand amour qui ne s’est jamais essoufflé.


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Les Cowboys Fringants au Métropolis, 30 mars 2002 (photo Robert Skinner, Archive La Presse)



Vivre le LIVE


Karl, tu étais le pilier de ce groupe qui m’aura vu grandir, de l’adolescence à la trentaine. Je ne compte plus les fois où je t’ai vu sur scène te déchaîner, t’époumoner, valser avec ton micro, en équilibre sur le menton, avant de nous lancer tes fameux gazous, le sourire fendu aux oreilles à voir tes fans bondir de joie pour tenter d’en attraper un au vol.


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Tu maniais le verbe comme pas un

récitant tes textes

avec le débit d’une formule 1


On tentait de te suivre

haletant


Puis tu nous sortais une balade rassembleuse

qui crevait le cœur de poésie tendresse

tu berçais les mots dans ton micro

et la foule ne faisait plus qu’un.


Ton énergie était plus que contagieuse

elle nous transcendait

à la fin des shows, on finissait invariablement

sans voix, trempés de bord en bord

et tu l’étais tout autant!


Tu avais tout donné pour tes fans, et en bas de la scène, on voyait que tu avais vécu le même spectacle que nous. C’était ça la touche Karl Tremblay. Tu étais sur le stage mais tu aurais très bien pu être dans la foule à danser pendant 2 heures avec nous!


Je t’ai vu partout, dans des petites salles et sur des scènes immenses. Entre le Festival du boeuf de Sainte-Germaine-Boulé, la Suisse, l’Abitibi, le show des insuccès, les salles de Montréal et les Plaines à la St-Jean en mode festif étudiant, entre tout ça il y avait Karl Tremblay comme point d’ancrage pour nous rallier tous et toutes. Tu aimais nous voir chanter, sauter, danser et tu nous le rendais exponentiellement. À chaque spectacle on se sentait connecté, chanceux et honoré d’avoir partagé une telle expérience avec toi.


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Festival du boeuf de Sainte-Germaine-Boulé 2010 / Festival Pully Lavaux à l'heure du Québec, Suisse, 2014



Le pouvoir des albums


Je suis un enfant de Break Syndical, j’ai Joyeux calvaire ! tatoué dans le sang et En berne au bout du poing militant.


Je suis un amant de La Grand-Messe, qui s’est attendri sur Les étoiles filantes et qui s’est ouvert les yeux sur Plus rien.


J’ai vécu mes bonheurs, mes amours et mes peines sur fond d’Octobre, pi j’ai viré ma vie à l’envers avec Les Antipodes.


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Photo Stéphane Brunet, Néomédia


C’est incroyable le pouvoir que peut avoir une toute petite phrase. Une phrase merveilleusement rédigée par ton compagnon J-F Pauzé, mais puissamment livrée par ta voix à toi, Karl :


« Pourquoi travailler autant? Éloigné de ceux que j’aime tout ça pour jouer la game. »


ou comment incarner le mal d’une génération en deux courtes lignes...


Pour moi, il y a eu un avant et un après L'Amérique pleure.

Et pour ça, je vous serai éternellement reconnaissant les Cowboys.



Les femmes cowboys


Adolescent, je n’avais d'yeux que pour Marie-Annick et son violon. La force, la confiance, l’intensité et l’émotion qu’elle dégageait sur scène m'éblouissaient à chaque spectacle. Votre complicité était vibrante, votre amour et votre amitié, palpables. Avec Jean-François et Jérôme, vous aviez ce talent de vous compléter les uns les autres au travers des chansons et des mélodies. Armés d’humour festif, de tendresse et de revendications militantes, vous valsiez au même rythme passionnel, et ce, pour le plus grand bonheur du public en bas du stage.


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Concert des Cowboys Fringants à Saint-Bruno-de-Montarville (photo Michel Hannequart)


Et puis il y a eu toutes les autres femmes cowboys. Au fil des ans, je suis tombé et retombé en amour avec Loulou Lapierre, La Reine, La Catherine, Marilou, la serveuse du Pub Royal, Suzie Prudhomme et même Gina Pinard! Ses femmes fortes dont tu chantais les prouesses, femmes toujours un peu décalées du monde moderne, en réaction face aux injustices, parfois un peu brisée par la vie, mais fières et authentiques, vraies dans leurs peines et dans leur gloire.


Ces personnages et leurs histoires, on les devait à ton acolyte Jean-François, mais c’est ta voix Karl, qui leur donnait une âme, qui les rendait vivantes autour de nous. À bien y repenser, il y avait quelque chose de vraiment spécial à entendre un homme réciter les péripéties quotidiennes d’une femme, qu’elles se classent dans le sublime ou le très ordinaire. En entonnant moi-même ces mélodies — à cet âge où la puberté nous chavire — j’ai appris qu’un homme pouvait exprimer tendresse et compassion, et que cela n’invalidait pas son statut d’homme.


C’est étrange à dire, mais de t’écouter me raconter ces histoires de femmes battantes fût un de mes premiers contacts avec des modèles féminins forts, des femmes autonomes et indépendantes, qui ne s’en laissaient pas imposer devant les hommes. Et pour ça, je te remercie aussi Karl Tremblay.



Une marque indélébile


Je pourrais parler de tous ces party sur fond de Shack à Hector

où tu nous as appris à célébrer dans le respect


de ces soirées à gueuler Léopold où on se chantait

la bro-mance tendresse bras-dessus bras-dessous


de 2012 où on aura parcouru les rues en clamant

nos droits et La manifestation


de ces écoutes en boucle à tenter, hilares

de chanter La noce sur le bon beat !


de ces points levés à scander

Le gars d’la compagnie, En berne et Si la vie vous intéresse

tu nous auras appris à ne pas se taire

pi à s’indigner contre le système et les géants

qui nous immobilisent dans la passivité 


de toutes ces larmes versées sur

Banlieue, Impala Blues, Au pays des sapins géants et Sur mon épaule

je ne sais pas si tu te rends compte à quel point c’est fort

mais tu nous auras montré à brailler Karl


Je pourrais te parler de tout ça

et il y aurait encore tant à dire...


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Ton départ laisse un grand trou dans le cœur de toute une génération, de toute une nation. L’humain est parti mais la légende demeure. L’empreinte que tu as eu sur nous perdurera à jamais. Tu resteras notre étoile filante, notre grand frère collectif qui flâne maintenant avec le vent au pays des sapins géants.


Ton amour de la musique, de la langue québécoise sous toutes ses couleurs, de la culture francophone sous tous ses revers, ton amour de l’autre, ta générosité, ton honnêteté et ta profonde humanité demeureront ton legs le plus puissant. Puisse-t-il résonner encore longtemps dans cette trame de vivre-ensemble que tu as su tisser.



Cultiver la présence dans l’absence


Il y avait la plume de J-F

il y avait le son des Cowboys 

mais il y avait la voix de Karl


Et en cette fin d’année particulière 

après 20 ans à l’avoir dans les oreilles 

[ véritable bande-sonore de mes éclats de vie ]

c’est de elle, dont je devrai faire le deuil

cette voix percutante et unique


Il nous faudra, comme le disait Serge Bouchard... « apprendre à cultiver la présence dans l’absence. »


Karl, merci de m’avoir appris 

à garder la tête haute

à suivre mes rêves de ti-cul

à rassembler 


Merci de m’avoir appris 

à laisser aller le passé

tout en chérissant 

nos douces nostalgies


Merci de m’avoir 

appris à être homme 

dans sa vrai définition

grand pi fort oui

mais sensible pi doux aussi

et surtout 

humble et authentique



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 Centre Bell, 30 décembre 2003 (photo Gordon Beck, Montreal Gazette)


Tu as su rester vrai

face à toi-même 

face à tes proches

face à ton public


On ne l’oubliera jamais.

Je ne t’oublierai jamais.


Merci tellement Karl. 

Merci pour tout. 


Et bon repos.



Hubert

31 décembre 2023, Abitibi-Témiscaminque

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