Lettre à Karl
- huberttrepanier
- Jan 1, 2024
- 5 min read

Les racines d’un amour
Je t’ai entendu pour la première fois grâce à mon cousin cool de 16 ans qui m’avait fait écouter Break Syndical, j’en avais 11. À ses yeux tu étais une star, donc aux miens, tu l’étais aussi. Mon admiration pour toi se peaufinera et créera sa propre identité avec les années, mais disons qu’on partait sur un bon pied, toi et moi.
L’année d’après je te voyais en show pour la première fois au Théâtre du Cuivre de Rouyn-Noranda, avec mon père pi mon petit frère. Une chance qu’on était au balcon parce que les deux premières rangées de sièges avaient été arrachées par la foule qui trashait front stage! Les gens étaient déguisés avec du drôle de linge et des chapeaux bizarres. À 12 ans je comprenais pas tout ça, mais ça m'impressionnait beaucoup. Cette soirée là, y’a quelque chose qui s’est allumé en moi, y’a quelque chose qui m’a attiré dans cette valse de bonheur à laquelle j’avais assisté. Je suis sorti du spectacle, j’ai acheté mon t-shirt vert (que je possède encore <3 ), pi c’était le début d’un grand amour qui ne s’est jamais essoufflé.

Les Cowboys Fringants au Métropolis, 30 mars 2002 (photo Robert Skinner, Archive La Presse)
Vivre le LIVE
Karl, tu étais le pilier de ce groupe qui m’aura vu grandir, de l’adolescence à la trentaine. Je ne compte plus les fois où je t’ai vu sur scène te déchaîner, t’époumoner, valser avec ton micro, en équilibre sur le menton, avant de nous lancer tes fameux gazous, le sourire fendu aux oreilles à voir tes fans bondir de joie pour tenter d’en attraper un au vol.

Tu maniais le verbe comme pas un
récitant tes textes
avec le débit d’une formule 1
On tentait de te suivre
haletant
Puis tu nous sortais une balade rassembleuse
qui crevait le cœur de poésie tendresse
tu berçais les mots dans ton micro
et la foule ne faisait plus qu’un.
Ton énergie était plus que contagieuse
elle nous transcendait
à la fin des shows, on finissait invariablement
sans voix, trempés de bord en bord
et tu l’étais tout autant!
Tu avais tout donné pour tes fans, et en bas de la scène, on voyait que tu avais vécu le même spectacle que nous. C’était ça la touche Karl Tremblay. Tu étais sur le stage mais tu aurais très bien pu être dans la foule à danser pendant 2 heures avec nous!
Je t’ai vu partout, dans des petites salles et sur des scènes immenses. Entre le Festival du boeuf de Sainte-Germaine-Boulé, la Suisse, l’Abitibi, le show des insuccès, les salles de Montréal et les Plaines à la St-Jean en mode festif étudiant, entre tout ça il y avait Karl Tremblay comme point d’ancrage pour nous rallier tous et toutes. Tu aimais nous voir chanter, sauter, danser et tu nous le rendais exponentiellement. À chaque spectacle on se sentait connecté, chanceux et honoré d’avoir partagé une telle expérience avec toi.


Festival du boeuf de Sainte-Germaine-Boulé 2010 / Festival Pully Lavaux à l'heure du Québec, Suisse, 2014
Le pouvoir des albums
Je suis un enfant de Break Syndical, j’ai Joyeux calvaire ! tatoué dans le sang et En berne au bout du poing militant.
Je suis un amant de La Grand-Messe, qui s’est attendri sur Les étoiles filantes et qui s’est ouvert les yeux sur Plus rien.
J’ai vécu mes bonheurs, mes amours et mes peines sur fond d’Octobre, pi j’ai viré ma vie à l’envers avec Les Antipodes.

Photo Stéphane Brunet, Néomédia
C’est incroyable le pouvoir que peut avoir une toute petite phrase. Une phrase merveilleusement rédigée par ton compagnon J-F Pauzé, mais puissamment livrée par ta voix à toi, Karl :
« Pourquoi travailler autant? Éloigné de ceux que j’aime tout ça pour jouer la game. »
ou comment incarner le mal d’une génération en deux courtes lignes...
Pour moi, il y a eu un avant et un après L'Amérique pleure.
Et pour ça, je vous serai éternellement reconnaissant les Cowboys.
Les femmes cowboys
Adolescent, je n’avais d'yeux que pour Marie-Annick et son violon. La force, la confiance, l’intensité et l’émotion qu’elle dégageait sur scène m'éblouissaient à chaque spectacle. Votre complicité était vibrante, votre amour et votre amitié, palpables. Avec Jean-François et Jérôme, vous aviez ce talent de vous compléter les uns les autres au travers des chansons et des mélodies. Armés d’humour festif, de tendresse et de revendications militantes, vous valsiez au même rythme passionnel, et ce, pour le plus grand bonheur du public en bas du stage.

Concert des Cowboys Fringants à Saint-Bruno-de-Montarville (photo Michel Hannequart)
Et puis il y a eu toutes les autres femmes cowboys. Au fil des ans, je suis tombé et retombé en amour avec Loulou Lapierre, La Reine, La Catherine, Marilou, la serveuse du Pub Royal, Suzie Prudhomme et même Gina Pinard! Ses femmes fortes dont tu chantais les prouesses, femmes toujours un peu décalées du monde moderne, en réaction face aux injustices, parfois un peu brisée par la vie, mais fières et authentiques, vraies dans leurs peines et dans leur gloire.
Ces personnages et leurs histoires, on les devait à ton acolyte Jean-François, mais c’est ta voix Karl, qui leur donnait une âme, qui les rendait vivantes autour de nous. À bien y repenser, il y avait quelque chose de vraiment spécial à entendre un homme réciter les péripéties quotidiennes d’une femme, qu’elles se classent dans le sublime ou le très ordinaire. En entonnant moi-même ces mélodies — à cet âge où la puberté nous chavire — j’ai appris qu’un homme pouvait exprimer tendresse et compassion, et que cela n’invalidait pas son statut d’homme.
C’est étrange à dire, mais de t’écouter me raconter ces histoires de femmes battantes fût un de mes premiers contacts avec des modèles féminins forts, des femmes autonomes et indépendantes, qui ne s’en laissaient pas imposer devant les hommes. Et pour ça, je te remercie aussi Karl Tremblay.
Une marque indélébile
Je pourrais parler de tous ces party sur fond de Shack à Hector
où tu nous as appris à célébrer dans le respect
de ces soirées à gueuler Léopold où on se chantait
la bro-mance tendresse bras-dessus bras-dessous
de 2012 où on aura parcouru les rues en clamant
nos droits et La manifestation
de ces écoutes en boucle à tenter, hilares
de chanter La noce sur le bon beat !
de ces points levés à scander
Le gars d’la compagnie, En berne et Si la vie vous intéresse
tu nous auras appris à ne pas se taire
pi à s’indigner contre le système et les géants
qui nous immobilisent dans la passivité
de toutes ces larmes versées sur
Banlieue, Impala Blues, Au pays des sapins géants et Sur mon épaule
je ne sais pas si tu te rends compte à quel point c’est fort
mais tu nous auras montré à brailler Karl
Je pourrais te parler de tout ça
et il y aurait encore tant à dire...

Ton départ laisse un grand trou dans le cœur de toute une génération, de toute une nation. L’humain est parti mais la légende demeure. L’empreinte que tu as eu sur nous perdurera à jamais. Tu resteras notre étoile filante, notre grand frère collectif qui flâne maintenant avec le vent au pays des sapins géants.
Ton amour de la musique, de la langue québécoise sous toutes ses couleurs, de la culture francophone sous tous ses revers, ton amour de l’autre, ta générosité, ton honnêteté et ta profonde humanité demeureront ton legs le plus puissant. Puisse-t-il résonner encore longtemps dans cette trame de vivre-ensemble que tu as su tisser.
Cultiver la présence dans l’absence
Il y avait la plume de J-F
il y avait le son des Cowboys
mais il y avait la voix de Karl
Et en cette fin d’année particulière
après 20 ans à l’avoir dans les oreilles
[ véritable bande-sonore de mes éclats de vie ]
c’est de elle, dont je devrai faire le deuil
cette voix percutante et unique
Il nous faudra, comme le disait Serge Bouchard... « apprendre à cultiver la présence dans l’absence. »
Karl, merci de m’avoir appris
à garder la tête haute
à suivre mes rêves de ti-cul
à rassembler
Merci de m’avoir appris
à laisser aller le passé
tout en chérissant
nos douces nostalgies
Merci de m’avoir
appris à être homme
dans sa vrai définition
grand pi fort oui
mais sensible pi doux aussi
et surtout
humble et authentique

Centre Bell, 30 décembre 2003 (photo Gordon Beck, Montreal Gazette)
Tu as su rester vrai
face à toi-même
face à tes proches
face à ton public
On ne l’oubliera jamais.
Je ne t’oublierai jamais.
Merci tellement Karl.
Merci pour tout.
Et bon repos.
– Hubert –
31 décembre 2023, Abitibi-Témiscaminque




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