Oasis en carton
- huberttrepanier
- May 29, 2023
- 2 min read
Coincé entre une track du CN
et un viaduc en ruine
ils ont déroulé un tapis de gazon
planté de pauvres arbres
sur le béton lissé
et ils ont osé
ils ont osé appeler ça un parc

Semblant de forêt
verdure virant au jaune
brûlure solaire
fond de teint qui tire
couleur bouette
sous l’effet de trop de pas
ceux des pauvres gens
à la foulée pesante
venus chercher maigre refuge
dans une urbanité verte plastique
oasis en carton
petite nature perméable
à nos marques d’angoisse
soumises aux fracas industriels
des quotidiens moroses
sonnant la redondance
Épuisé du devoir de paraître
le paysage carte postale
capitule
se défraîchit à force de manquer d’air
pur
il rêve d’infini
de mer de conifères
d’horizon forestier
mais nous nous bornons
nous nous bernons
à l’instar de nos regrets fastes
à le cloisonner
à l’engrillager de toute part
à le cerner de bitume
à lui couper l’herbe sous le pied
et à l’abattre
enfin
le jour où
il se décide à s’affirmer
à pousser racines sans vergogne
à s’accrocher les branches aux nuages

Pas question de tolérer
la libre beauté
quand notre destin
se veut prison
Si elle nous est inaccessible
que tous la perde
que tous l’égarent
leur goût de vivre
que tous l’oublient
leur liberté défunte
que tous vivants
s’en voient dépossédés
envers et contre fous

Nous encabanerons tout ce qui frétille
bouge
saute
survit
plus haut que notre âme
question de ne pas voir
notre propre piège
de ne pas sentir
l’étau
qui se referme
sur nos corps brisés
vestiges d’une société
échouée
Si on s’élève au-dessus
du bonheur des autres
est-ce possible d’atteindre notre ciel?
***
Ils ont tout de même
osé
appeler ça un parc
ça en prend du cran
ou de l’ignorance
pour pousser le sarcasme si loin
à ce point-ci
les deux se confondent
un mal en vaut bien un autre
Coincé entre une track du CN
et un viaduc en ruine
je passe le temps
une journée après l’autre
à gagner ce pain morne
célébré à outrance

Coincé entre deux symboles
d’une époque aveugle
qu’on nous a rapportée comme glorieuse
coincé là
entre ces vestiges à bout de souffle
coincé étouffé
dans mes propres pensées
je me demande si
dans toute notre tristesse
notre empressement
et notre détresse
je me demande si
on pouvait
seulement
au moins
tenter
d’épargner les arbres
- avril 2022 -
Photos : crédit Hubert Trépanier; Montréal (Qc)
Kanien:ke (territoire ancestral de la Première Nation Kanien'kehá:ka)




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