top of page

Oasis en carton

Coincé entre une track du CN

et un viaduc en ruine

ils ont déroulé un tapis de gazon

planté de pauvres arbres

sur le béton lissé

et ils ont osé

ils ont osé appeler ça un parc

ree

Semblant de forêt

verdure virant au jaune

brûlure solaire

fond de teint qui tire

couleur bouette

sous l’effet de trop de pas

ceux des pauvres gens

à la foulée pesante

venus chercher maigre refuge

dans une urbanité verte plastique

oasis en carton

petite nature perméable

à nos marques d’angoisse

soumises aux fracas industriels

des quotidiens moroses

sonnant la redondance


Épuisé du devoir de paraître

le paysage carte postale

capitule

se défraîchit à force de manquer d’air

pur

il rêve d’infini

de mer de conifères

d’horizon forestier

mais nous nous bornons

nous nous bernons

à l’instar de nos regrets fastes

à le cloisonner

à l’engrillager de toute part

à le cerner de bitume

à lui couper l’herbe sous le pied


et à l’abattre

enfin


le jour où

il se décide à s’affirmer

à pousser racines sans vergogne

à s’accrocher les branches aux nuages

ree

Pas question de tolérer

la libre beauté

quand notre destin

se veut prison


Si elle nous est inaccessible

que tous la perde


que tous l’égarent

leur goût de vivre


que tous l’oublient

leur liberté défunte


que tous vivants

s’en voient dépossédés

envers et contre fous


ree

Nous encabanerons tout ce qui frétille

bouge

saute

survit

plus haut que notre âme

question de ne pas voir

notre propre piège

de ne pas sentir

l’étau

qui se referme

sur nos corps brisés

vestiges d’une société

échouée


Si on s’élève au-dessus

du bonheur des autres

est-ce possible d’atteindre notre ciel?


***


Ils ont tout de même

osé

appeler ça un parc

ça en prend du cran

ou de l’ignorance

pour pousser le sarcasme si loin

à ce point-ci

les deux se confondent

un mal en vaut bien un autre


Coincé entre une track du CN

et un viaduc en ruine

je passe le temps

une journée après l’autre

à gagner ce pain morne

célébré à outrance

ree

Coincé entre deux symboles

d’une époque aveugle

qu’on nous a rapportée comme glorieuse

coincé là

entre ces vestiges à bout de souffle

coincé étouffé

dans mes propres pensées


je me demande si

dans toute notre tristesse

notre empressement

et notre détresse


je me demande si

on pouvait

seulement

au moins

tenter

d’épargner les arbres


- avril 2022 -


Photos : crédit Hubert Trépanier; Montréal (Qc)

Kanien:ke (territoire ancestral de la Première Nation Kanien'kehá:ka)

Comments


Vous avez aimé mes textes ?
Je veux vous lire !

Terrasse café Montréal

Écrivez-moi !

Merci pour votre message :)

© 2023 by H. Trépanier. Powered and secured by Wix

bottom of page